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LA ARBOR DE JUDA
La tren de 21:20La arbor de Juda

La tren de 21:20

Un noveleta estraeda de La arbor de Juda (1976-1979) de Gilles Davray[¹]
Traduida de franses par Michel Gaillard

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De mea studio, a fondo del patio, me regarda la pluve cadente sur la pave gris e sur la monton de ojetos eterojen poneda a lado de la porton asedente la bolevar. A retro de me, un stufa vea de cerosen ronci, a media de scafales conjestada e de multe lonas de depintas, ja completida o en curso de completi. Lo es a un comensa de posmedia triste e fria, como tro frecuente a esta mense de desembre. Tra du dias, me no ia toca plu la brosas! Con mea nas contra la vitro de la porte, me senti fatigada, desenerjida; envolveda en acel state cuasi comosa cual isoli me de la mundo, me move entre la persones como un regardor nonconsernada, stranjer.

De mon atelier, au fond de la cour, je regardais tomber la pluie sur le pavé gris et sur l’amoncellement d’objets hétéroclites entreposés près du porche donnant sur l’avenue. Derrière moi, un vieux poêle à mazout ronflait au milieu des étagères encombrées et d’une multitude de toiles, achevées ou en cours de réalisation. C’était un début d’après­-midi triste et froid, comme on en subissait trop souvent en ce mois de décembre. Bientôt deux jours que je n’avais plus touché mes pinceaux ! Le nez collé à la vitre de la porte, je me sentais las, vidé de toute énergie ; plongé dans cet état semi­comateux qui m’isolait du monde, j’évoluais parmi les gens en spectateur indifférent, étranger.

An con sua vantajes nondutable, la spasio urban comensa opresa me. Me nesesa respira un aria min contaminada, evade la conjestas de trafica en la oras de presa e oblida esta stasiones de metro ruidosa e susia. Esce on pote trova ancora alga rejion perdeda, distante de cualce agrega urban, do la viletas ta es bastante a via de lunlotra? Lo ta es indicada a no loca, estra sur un mapa multe detaliosa cual me ta oteni tan laborosa, e on ia ta nesesa la nondiscretia de acel per descovre la vileta la plu isolida: Malespera.

Malgré ses incontestables avantages, la ville commençait à m’oppresser. J’avais besoin de respirer un air moins pollué, d’échapper aux embouteillages des heures de pointe et d’oublier ces stations de métro bruyantes et sales. Existait­-il encore une région perdue, loin de toute agglomération importante, où les villages seraient suffisamment éloignés les uns des autres ? Nulle part signalé, il m’aurait fallu l’indiscrétion d’une carte d’état­-major, que j’aurais eu d’ailleurs un mal fou à me procurer, pour que je découvrisse le plus isolé : Malespoir.

La imaje clari, intruinte en me pos alga tempo con un netia noncredable: ja la detalias presante ordina se per composa la elementos de mea depinta nova. Me lasa ce la nebla opaci la vitro, en cuando mea spirito dejunta se de la vila, en la tren cual trae me a esta loca de pas.

L’image se précisait, s’imposant bientôt avec une incroyable netteté : les détails qui affluaient s’organisaient pour composer déjà les éléments de ma prochaine toile. Je laissai la buée opacifier la vitre tandis que mon esprit quittait la ville, dans le train qui m’emmenait vers ce havre de repos.

Me ia debe pasa cuatro dias en un otel visina a la stasion do me ariva, car la bus cual vade a Malespera, un minibus per des persones, veni sola a un ves en du semanas. Esta retarda ia lasa alga tempo afin me pote imajina esta vileta a la limita de la mundo, en tal modo ce, cuando instalada en la bus, me ia pare conose ja Malespera de tempo longa.

J’attendis quatre interminables journées dans un hôtel voisin de la gare où je débarquai, car Malespoir n’était desservi que tous les quinze jours par un minibus à dix places. Ce contre­temps me laissa le loisir d’imaginer ce que pouvait être ce village du bout du monde, si bien que lorsque je me trouvai installé sur la banquette du fourgon, j’avais déjà l’impression de connaître Malespoir depuis de nombreuses années.

Tra la sinco oras cual la curso ia dura, me ia es la sola viajor embarcada. Pos corta, la arbores e la abiterias ia rari e la campania ia deveni plu savaje. La strada ia es traversante reta un deserto de petras do alga boscetas spinosa survive. La arboretas magra acaso encontrada ta ateni nunca la adultia. Los ia es ja como lenio mor, an con sua tre o cuatro folias minor e descarnida cual atenta crese. A mea lado, me ia sufri sidia e caldia, an con tota la vitros de la veculo abrida.

Pendant les cinq heures que dura le trajet, je fus seul voyageur à bord. Très rapidement, les arbres et les habitations s’étaient clairsemés pour laisser la place à un paysage toujours plus sauvage. La route tira bientôt droit à travers un désert de pierres où seuls quelques buissons épineux survivaient. Les maigres arbustes que l’on croisait par hasard n’atteindraient jamais l’âge adulte. Ils faisaient déjà figure de bois mort malgré les trois ou quatre feuilles rachitiques qui s’entêtaient à vouloir pousser. De mon côté, je souffris de la soif et de la chaleur, bien que toutes les vitres du véhicule fussent ouvertes.

Aora me pote lasa la patio su la pluve per concreti mea sensas. Como a cada ves, cuando me desinia, me comuta mea rejistrador, per conserva tota mea pensas. Plu tarda, pos escuta de la rejistradas, alga imajes spesial notable va resta: me va reprodui los detaliosa sur folias de paper diafana, cual me suprapone. La linias va misca con lunlotra e va nase la depinta final. Me labora sempre tal, per tradui la complica de la realia viveda, cual misca sempre la imajes sensada e soniada: la suprapones de los composa nosa realia, e sua interatas determina lo, egalinte nosa mundos material e imajinal.

Il était temps maintenant d’abandonner la cour à la pluie pour concrétiser mes visions. Comme chaque fois que je dessinais, j’enclenchai mon magnétophone pour enregistrer tout ce à quoi mes ébauches me faisaient penser. Plus tard, après écoute de la bande, il me resterait quelques images particulièrement marquantes que je reproduirais minutieusement sur des feuilles de papier ­calque avant de les superposer. Les lignes alors se mêleraient pour donner naissance au tableau définitif. Je travaillais ainsi pour arriver à traduire la complexité de la réalité vécue : elle mêle aux objets perçus par les sens ceux qui sont des produits du mental ; elle n’est faite que de superpositions d’images sensorielles et d’images rêvées. Ce sont leurs interactions qui déterminent notre réel, mettant ainsi sur un pied d’égalité notre monde matériel et notre imaginaire.

Alga sonas de claxon trae me de mea dormosia. Me tende la testa a estra: la bus para en la media de la sola plaza de Malespera, en cuando alga fases stonada regarda me descargante mea bagaje. La bus va reparti doman, a la matina multe temprana. Subita, me pensa con ansia ce me ia demanda nunca a me esce on ave un otel asi. Un regarda rapida a sirca confirma mea ansia. Entre la desuple de casas cual composa la vileta, no un mostra la avisa xercada. A la caferia, cisa, on ta pote informa me.

Quelques coups de klaxon me tirèrent de ma somnolence. Je passai la tête par la fenêtre : le car s’immobilisait au milieu de l’unique place de Malespoir tandis que quelques visages surpris me regardaient décharger mes bagages. Il ne repartirait que le lendemain, très tôt dans la matinée. Je pensai soudain, avec un brin d’inquiétude, que je ne m’étais jamais enquis de l’existence d’un hôtel. Un rapide tour d’horizon confirma mon appréhension. Sur la dizaine de maisons qui composaient le village, aucune ne portait l’enseigne que je cherchais. Au café, on pourrait sans doute me renseigner.

Pico embarasada, disturbada par la curiosia silente de la abitores, me traversa la plazeta e pone mea valis a basa de la bancon.

Un peu désemparé, gêné par la curiosité silencieuse des habitants, je traversai le square et posai ma valise au pied du comptoir.

«Cual me servi a tu?…»

« Je vous sers ?… »

La tavernor avansa sua testa rojin con un nas inflada tan prosima a mea fas, ce me ole con repulsa sua alitose apestante de alcol. Me vinse la nausea aveninte a me e comanda un bir bon fresca.

Le patron avait avancé sa grosse tête rougeaude au nez tuméfié si près de mon visage que je sentis avec répulsion son haleine empestant l’alcool. Je surmontai la nausée qui s’emparait de moi et commandai une bière bien fraîche.

« Per favore, me demanda esitosa, me xerca un sala per alga notes… ma me no ia persepi cualce otel. »

« S’il vous plaît, hasardai­-je timidement, je chercherais à me loger… mais je n’ai aperçu aucun hôtel. »

Sua odor vinagrin ataca me denova.

Son odeur de vin aigre m’assaillit de nouveau.

«Tu no va trova esta en la pais. On no vide multe viajores desembarcante asi. Vade a demanda a la veciela [²]! Si tu pote paia, serta el va ospita tu. Per tua come, me pote maneja.

« Vous n’en trouverez pas dans le coin. Faut dire qu’on voit pas grand-monde débarquer ! Allez voir la vieuille ! Si vous avez de quoi payer, elle vous hébergera sûrement. Pour vos repas, je peux m’en occuper.

– E do… em… esta dama… abita?

– Et où habite… euh… cette dame ?

– La veciela? Tu no pote era: la ultima casa de la vileta, cuando tu regarda a la colinas. Sento metres… Un cason con un teraza a ante. Si tu vade aora, posible ela es traente la vestes de la corda. Tu no pote fali. Me prepara un sopa per tu a esta sera? »

– La vieuille ? Vous ne pouvez pas vous tromper. C’est la dernière maison du village quand vous regardez vers les collines. À cent mètres… Une grande baraque avec une terrasse devant. Si vous y allez maintenant, elle doit ranger son linge. Vous ne risquez pas de la rater. Je vous prépare un petit bouillon pour ce soir ? »

Me anui, grasia el, e comensa xerca la veciela. La sol, an basa en la sielo, es ancora bastante calda. Me es suinte forte par causa de la pesa de mea valis e me debe pausa, a la fini de la plaza, ante cuando me continua asta la cason de petra do un fem vea e seca es ordinante sua telones en un sesto de vim. Cuando el persepi me, el para per oserva me. Me no pote vade a otra loca: pos sua casa, on ave la deserto.

J’acquiesçai, remerciai, puis me mis en quête de la vieuille. Le soleil, quoique bas dans le ciel, chauffait encore suffisamment. Je suai sang et eau à cause du poids de ma valise et dus souffler, une fois au bout de la place, avant de continuer ma route jusqu’à la grande bâtisse de pierre où une vieille haridelle rangeait ses draps dans un panier d’osier. Quand elle m’aperçut, elle s’arrêta pour mieux m’observer. Je ne pouvais me rendre que chez elle : après, c’était le désert.

Cuando el comprende ce me desira un sala, el ofre a me un surie orible cual asentua la beco de agila de sua nas e la du dentes siselinte restante en sua boca. Lo es difisil credable ce acel es un surie de bonveni, an si el atenta dulsi pico la grinse de sua vose. El demanda pronto cuanto me intende dona a el per la lua, e el aseta ce me ofre du veses plu ca esta proposa. Lo fa custosa la saleta cual el mostra a me! Sin otra eleje posible, me ia es forsada a sede. Car me es jenerosa – longo sua parolas confidada a me –, per la telones jalin e pegosa de la leto, el va sustitua, par favore, la telones cual el veni de lava e cual ‘odori bon la blancinte’.

Lorsqu’elle comprit que je désirais me loger, elle me gratifia d’un horrible rictus qui mit en évidence le bec d’aigle lui tenant lieu de nez et les deux incisives jaunes qu’il lui restait. J’eus du mal à me persuader qu’il s’agissait là d’un sourire accueillant malgré l’essai qu’elle fit de donner au grincement de sa voix une pointe de douceur bienveillante. Elle s’informa immédiatement de la somme que je pensais mettre dans la location et accepta que je lui en offrisse le double. Ce qui fit cher le débarras qu’elle me proposa. N’ayant pas le choix, je fus bien obligé de m’incliner. Comme j’avais été très généreux, me confia­-t­-elle, elle ferait l’effort de remplacer les draps gluants et jaunâtres du lit par une paire de ceux qu’elle venait de laver et qui « sentaient bon la Javel ».

Lo pluve sempre tal. Me traversa rapida la patio, la porton, e asende la rua cual brilia su la lampas de strada, asta mea comeria abitual. Me refusa la menu cual on proposa a me e comanda un sopa, tan malsaborosa como posible, con du pesos de pan seca e un vitro de mal vino. Me insiste longa afin on contenti me… Cisa, per plase me, los ia suprapasa mea demanda…

Il pleuvait toujours autant. Je traversai rapidement la cour, franchis le porche et remontai la rue qui brillait sous les néons, jusqu’au snack­-bar où j’avais l’habitude de déjeuner. Je refusai le menu que l’on me proposait et commandai un bouillon, le plus infect possible, deux tranches de pain rassis et un quart de vin piqué. J’insistai longuement avant d’obtenir satisfaction quoique, pour m’être agréables, ils aient peut­-être un peu abusé.

A cada culieri, me demanda a me, lejera ansiosa, esce me va pote sufri tal tra la du semanas veninte, rejetante la idea suisidal de resta plu longa. U cuanto me debe fa per evade la vila e sua metros suprafolida! Me nota alora, fisada sur la mur, a ante de me, en media de multe posteretas, esta panel peti, jalida par la anios e la fuma: un orario de tren. Tota simil como aceles en la stasiones ferovial, ma miniatur e composada sola con tre linias:

À chaque cuillerée, je me demandais, légèrement inquiet, s’il serait possible à mon organisme de tenir le coup durant les deux semaines à venir, ayant bien entendu repoussé l’idée suicidaire d’un séjour plus important. Que ne fallait­-il pas faire pour échapper à la ville, à ses métros bondés ! Je remarquai alors, placardé sur le mur, juste devant moi, au milieu d’une multitude d’affichettes, ce petit panneau jauni par le temps et la fumée – un horaire de trains. Tout semblable à ceux que l’on trouve dans les gares. Mais en modèle réduit. Il ne comptait que trois lignes :

MALESPERA
Ariva – 21:19
Parti – 21:20

MALESPOIR
Arrivée : 21 h 19
Départ : 21 h 20

Me demanda a la patron per sabe la eda de esta orario.

J’interrogeai le patron pour savoir de quand datait cet horaire.

« Lo no es de oji! Lo ia es ja asi a la tempo de mea avo! Vera! nos ia ave nosa ferovia! Mm, no longa… Per un mense, me crede. Mera la tempo per nota ce no viajor prende lo… Per dise ce on es alga pantoflor, en la pais.

« Il n’est pas d’aujourd’hui ! Il était déjà là du temps de mon grand-­père. Eh oui, nous avons eu notre chemin de fer. Oh ! Pas longtemps ! Un mois, je crois. Juste le temps qu’ils s’aperçoivent qu’aucun passager ne le prenait… Faut dire qu’on est plutôt casanier dans le coin.

– Me no ia vide alga stasion.

– Je n’ai pas vu de gare !

– De asi, tu no pote. Lo sta a la otra lado de la colina, a un ora pico de pasea.

– D’ici, vous ne pouvez pas. Elle est sur l’autre versant de la colline, à une petite heure de marche.

– Doman, me va visita lo.

– Demain, j’irai la visiter.

– Me no intende delude tu, ma tu va vide no multe cosas – an no la reles! Un stasion sin reles no es vera un stasion. Ma, si tu desira forte, me consela ce tu vade a ora fresca, si tu vole sta secur. »

– Je ne voudrais pas vous décevoir, mais il ne reste pas grand-chose, même pas les rails ! Une gare sans rails, ce n’est plus tout à fait une gare. Mais si vous y tenez, je vous conseille d’y aller à la fraîche, si vous ne voulez pas y laisser la santé. »

Me sorti de la caferia e asende la bolevar, xercante un asede de metro per vade a cualce otra parte. Faros lumina la pave umida con sua luses angulo colpante me con sua flaxes jala, blanca, roja. Me rapidi. La rejistrador portable, batetante mea lado e sempre comutada, no perde mera un parola de la nara con cual me nuri lo. Lo continua rejistra sin turba en cuando la troteria fuji, en cuando me traversa parces opresada par la note e paserias suspendeda supra stradones conjestada.

Je sortis du snack et remontai l’avenue à la recherche d’une bouche de métro qui me conduirait n’importe où. Les faisceaux lumineux des phares illuminaient l’asphalte humide, m’agressant de leurs éclairs jaunes, blancs et rouges. J’accélérai le pas. Le magnétophone portatif qui battait mon flanc, toujours enclenché, ne perdait pas un mot du récit dont je le nourrissais et qu’il enregistrait imperturbablement alors que le trottoir défilait, que je traversais des jardins publics, des parcs oppressés par la nuit et des passerelles suspendues au­-dessus d’artères encombrées.

La pluve flajeli mea fas, colinte mea capeles sur mea fronte e cargante mea capa vea negra con un acua susia, malodorinte. An tal, me senti apena la fria.

La pluie qui me fouettait le visage, collant mes cheveux sur mon front, alourdissait à chaque pas mon vieux manteau noir maintenant imbibé d’une eau sale dont l’odeur écœurante venait heurter mes narines. C’est à peine, pourtant, si je ressentais le froid…

A esta ora, la temperatur deveni cuasi suportable. Alora, un spesie de joia subita saisi me direta a la fini de la vileta. Me es librida de esta sensa de sofoca cual presa Malespera como un covrecasola calda de plomo. Me comensa asende, con la cor lejera. La petras rola su mea pedes, elevante un polvo de tera ocer. Me senti revivente, e me xasa de mea mente tota cual pote remente me de la vileta, de la vea buteo ospitante e de la pel per vino cosininte. Me sta solitar. Solitar e felis. Serta on ave no cosa vidable en la pais sirca me, ma esta spasio petrosa apare subita a me como un cosa primitiva stonante bela. Me ateni pronto la culmina de la colina e pausa corta per amira la otra lado. Sur esta lado, pico min seca ca lo cual me veni de asende, alga arbores spesial forte pote crese e developa normal. Alga rocas plu grande composa un decora fesurida do ombra e lus misca. Notante no stasion ala, me entra en la sola vieta paseable, un vieta cual penetra en la fesures de la tereno.

À cette heure, la température devenait presque supportable. Une sorte de joie soudaine s’empara alors de moi dès la sortie du village. J’étais enfin libéré de cette impression d’étouffement qui régnait sur Malespoir comme un couvercle de fonte brûlant. J’attaquai la pente, le cœur léger. Les cailloux roulaient sous mes pieds, soulevant une poussière de terre ocre. Je me sentais revivre et chassai de mon esprit tout ce qui pouvait me rappeler le village, ma vieille buse de logeuse ou le sac à vinasse de cafetier. Je me retrouvais seul. Seul et heureux. Il n’y avait certes rien à voir dans le paysage mais cette étendue pierreuse me parut soudain d’une surprenante beauté primitive. J’atteignis bientôt le sommet de la colline et m’arrêtai un instant pour contempler l’autre versant. Sur ce côté-­ci, un peu moins aride que celui que je venais de gravir, certains arbres particulièrement robustes pouvaient croître et se développer normalement. Des rochers plus importants composaient un décor crevassé où s’entremêlaient l’ombre et la lumière. N’ayant pu y déceler la présence de la gare, j’empruntai le seul chemin praticable qui se perdait dans les anfractuosités du terrain.

E subita, me descovre lo. Simil a tota la stasiones peti de viletas, partal ascondeda par du arbores foliosa enorme, plu ca sentenial. On pote leje ancora la nom Malespera, como si la tempo, par capris, ia salva la pinta.

Et soudain, je la découvris. Elle était semblable à toutes les petites gares de village, à moitié cachée par deux énormes arbres feuillus, plusieurs fois centenaires. On pouvait encore y lire très distinctement le nom de Malespoir, comme si le temps en avait capricieusement épargné la peinture.

Me brosi rapida un scema sur un paper diafana nova cual me ajunta a la tre stratos presedente.

J’en brossai rapidement une esquisse avant de réaliser le calque que je superposai aux trois premiers.

La impresa strana cual emerji de la trensa de la linias invita me a asende la du grados asedente la sala de espeta do no viajor ia entra ja. Sur un mur, on trova la mesma panel peti indicante la orario unica relatada con Malespera. Sin esta odor tipal de la locas abandonada de longa, on ta divina nunca ce la stasion es desusada.

L’étrange impression qui se dégageait de l’enchevêtrement des lignes m’incita à monter les deux marches qui donnaient accès à la salle d’attente qu’aucun voyageur n’avait jamais fréquentée. Sur un mur, on retrouvait le même petit panneau indiquant l’unique horaire concernant Malespoir. N’eût été l’odeur caractéristique des lieux abandonnés depuis fort longtemps, on ne se serait jamais douté que la gare était désaffectée.

On ave bastante lus per visita la interna de la construi, sin nesesa de la lampa de pox cual me ia porta, pendente de mea sintur, sur mea coxa. Me penetra a retro de la bileteria, do tota es ordinada, preparada, sin alga manxa de polvo. Al fondo de la sala, un porte descovre un scalera de lenio asendente a la nivel alta. Me pone la pede sur la grados, resistente an si pico gastada.

Il faisait suffisamment jour pour visiter l’intérieur de la bâtisse sans avoir à utiliser la lampe-­torche que j’avais prudemment amenée et qui pendait à ma ceinture, le long de ma cuisse. Je pénétrai derrière le guichet où tout était rangé, prêt à l’emploi, sans la moindre trace de poussière. Au fond de la pièce, une porte donnait sur un escalier de bois conduisant à l’étage. Je m’y engageai. Les marches, quoique solides, me semblèrent un peu fatiguées.

Me descovre alora un aparte peti de ofisior, sufisinte per un duple sin enfantes o per un nonsposida. Ala, de la leto abrida a la vestes pliada sur la seja, no cosa ia es moveda. Me senti la mesma impresa de presentia en la cosina. An tal, la stasion es vacua de sirca du jeneras, longo la bariste.

Je découvris alors un petit appartement de fonction pouvant abriter un couple sans enfant ou un célibataire. Là, du lit défait aux vêtements pliés sur une chaise, rien n’avait été touché. J’éprouvai la même sensation de présence dans la cuisine. Pourtant, la gare était vide depuis environ deux générations, m’avait dit le cafetier.

Me intende sorti, cuando, cisa, me oia pasos a basa, a la nivel de tera; on clace un porte. Me desende la grados asta la sala de espeta. Esce algun ia segue me? Me duta. Estra si un visitor misteriosa, conosente mea projeta de veni asi, ia presede me. Ma perce? A esta momento, me oia un vose a retro de me:

Quand je m’apprêtais à partir, il me sembla entendre des pas au rez­-de­-chaussée ; on claqua une porte. Je descendis les quelques marches qui me séparaient de la salle d’attente. Quelqu’un m’avait-­il suivi ? J’en doutais. À moins qu’ayant appris mon projet de me rendre sur ces lieux, le mystérieux visiteur ne m’y eût précédé. Mais à quelle fin ? À ce moment, une voix retentit dans mon dos :

« Senior? »

« Monsieur ? »

Me turna a retro, fisada par la surprende.

Je fis volte-­face, figé par la surprise.

« Me ia asusta tu? la xef de stasion demanda, con sua lanterna en mano, sortinte de la bileteria do nun ia sta a alga secondos a ante. Tu vole prende un bileta? »

« Je vous ai fait peur ? demanda le chef de gare, lanterne à la main, qui sortait du guichet où personne ne se trouvait quelques secondes auparavant. Vous vouliez prendre un ticket ? »

Car me no responde, el reveni en la saleta, maneja per alga momento, e final presenta a me mea bileta.

Comme je ne répondais toujours pas, il retourna dans la petite pièce et s’affaira quelques instants puis me tendit ma place.

« On ave un dama sur la plataforma, el dise a me. Tu pote, si tu vole, discute con el, per pasa tempo. La tren va ariva pos un dui­ora. »

« Il y a une dame sur le quai, me dit-­il. Vous pouvez toujours aller bavarder avec elle, pour passer le temps. Le train ne sera là que dans une demi­-heure. »

Me traversa la sala de espeta, cual on veni de lumina. Sur la mur, posteres de viaja ofre un vista paradisin de la paises cual los selebra.

Je traversai la salle d’attente que l’on venait d’éclairer. Sur le mur, des affiches de voyage offraient une vue idyllique des pays qu’elles vantaient.

De la vitro de porte, me persepi en efeto un fem, sentante sur un banca de petra, con un xapo grande, la busto reta e la manos poneda sur sua bolsa de perlas negra. Un velo de tul oscur masci sua fas, ma sua colo lisa e la rondias plasente moldida par sua roba de dol fa ce on divina sua jovenia.

De la porte vitrée, j’aperçus en effet, assise sur un banc de pierre, une femme coiffée d’un grand chapeau, le buste droit et les mains à plat sur son sac de perles noires. Une voilette sombre masquait son visage mais, à son cou dépourvu de rides et aux agréables rondeurs que moulait sa longue robe de deuil, il ne pouvait s’agir que de quelqu’un de jeune.

Nunca, a ante, me ia suprapone tan multe desinias per crea un depinta. Serta me ta debe sacrifia, entre la stratos cuantiosa, los cual ta nose a la unida. En cuando la rejistrador esflue la nara, en esta stimula abitual de mea momentos de crea, me ia es ordinante mea stratos diafana afin me ecuilibra la formas final la plu bon cual me pote. Acel ordina es la parte la plu laborosa, ma ance la plu importante de mea obra – la resulta depende tan de lo! A la comensa, me ia desinia un deserto, e aora on ave un fola corente – en media de acel me move plu e plu difisil: on puxa me a veses variosa, sin an un parola per escusa se, asta cuando la fem joven con vestes negra veni a me e pone sua mano sur mea spala.

C’était la première fois que je superposais autant de dessins pour réaliser une toile. Il me faudrait certainement sacrifier, dans la multiplicité des surfaces, celles qui nuiraient à l’ensemble. Tandis que la bande magnétique défilait, avec l’excitation qui caractérisait mes moments de création, j’agençais mes calques de façon à équilibrer le mieux possible les formes définitives. Cette mise en place représentait la partie la plus fastidieuse, mais aussi la plus importante de mon travail, tant le résultat en dépendait. J’étais parti d’un désert et voilà que se dessinait une foule pressée au milieu de laquelle il devenait de plus en plus difficile de se mouvoir. On me bouscula plusieurs fois sans daigner s’excuser jusqu’à ce que la jeune femme vêtue de noir vienne poser sa main sur mon épaule.

« Senior, lo es dudes un e des-sinco! »

« Monsieur, il est neuf heures et quart ! »

El trae me con freta a la plataforma, do la xef de stasion veni de lumina la faro. A prima, on oia un spesie de ronci de tempesta multe distante, en segue la ruido crese, plu neta.

Elle m’entraîna précipitamment vers le quai où le chef de gare venait d’allumer le fanal. Il y eut d’abord comme un grondement d’orage très lointain, puis le bruit s’amplifia, devint plus précis.

21:19. La tren para.

21h 19. Le train s’immobilisa.

Me repone mea paleta, frota mea manos sur mea faldon manxada e limpi atendosa mea brosas; a pos, me retrovade pico per descovre la depinta en sua unida.

Je reposai ma palette, essuyai mes mains sur mon tablier maculé et nettoyai soigneusement mes pinceaux avant de prendre un peu de recul pour découvrir le tableau dans son ensemble.

Acel apare aora, en un aspeta nova: la acaso de la linias e de la colores ia nase la portrae de un fem. Me, ci no pote desfisa mea regarda de esta oios clar, de esta capeles oscur cual flue longa como ondas sur spalas nuda, me prosimi a la lona per nota la coaveni stonante, resultante de la suprapone de la stratos.

Celui­-ci m’apparut alors sous un nouveau jour : le hasard des lignes et des couleurs avait donné naissance à un portrait de femme. Ne pouvant détacher mon regard de ces yeux clairs et de ces longs cheveux sombres qui coulaient en vagues sur des épaules nues, je m’étais approché de la toile pour constater qu’il s’agissait bien là d’une étonnante coïncidence due à la superposition de mes dessins.

La portes automata clace. La fem joven senta a ante de me, en cuando la vagones comensa move, e la lus eletrica cansela cualce idea de dia e de note. Me es movente en un mundo asurda do nun osa regarda lunlotra con fas a fas, do persones regarda me sin vide me, refujante se en la ronci mate, monotono e osesente cual sofoca nos. Algun leje sua jornal, nonafetada par la vibra de la macina, e la ritmo ipnosal de la rotas sur la reles opaci la note, envolvente la spasio en un pesa presante. La convoia para, reparti, sempre plu cargada con omes, femes, persones mor e ombras sempre plu cuantiosa.

Les portes automatiques claquèrent. La jeune femme prit place sur la banquette, devant moi, alors que le convoi s’ébranlait et que l’éclairage électrique effaçait toute notion de jour et de nuit. J’évoluais dans un monde absurde où personne n’osait regarder l’autre en face, où des gens me fixaient sans me voir en s’abritant derrière le grondement sourd, monotone et obsédant qui nous étouffait. Un homme lisait son journal, indifférent aux vibrations de la machine, tandis que le rythme lancinant des roues sur les rails opacifiait la nuit en enveloppant l’espace de son écrasante lourdeur. Le convoi s’arrêtait, repartait, toujours plus chargé d’hommes, de femmes, d’êtres morts et d’ombres sans cesse plus nombreuses.

La idea veni a me de xerca, supra la porte, en la lista de la stasiones, un nom cual ta remente me de un vileta, un rejion perdeda… E, en cuando mea regarda pasa sur la nomes, me senti ce la fem joven con vestes negra oserva me, ce el ia leva sua velo de tul, descovrente sua fas fasinante bela, e ce el surie strana a me.

Je me pris à chercher, sur la plaque accrochée au-dessus de la porte et sur laquelle figurait l’ordre des stations, celle dont le nom me rappellerait un village, une région perdue… Et, tandis que mon regard la parcourait, j’eus le sentiment que la jeune femme vêtue de noir m’observait, qu’elle avait relevé la voilette de son chapeau, découvrant un visage d’une beauté fascinante, et me souriait étrangement.

FINI


[¹] Gilles Davray es la nom anagram de Yves Gaillard, scrivor, depintor e musiciste, 1946-2004.

[²] Veciela: un parola dialetal per un “fem vea”

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Lo ia es automatada jenerada de la paje corespondente en la Vici de Elefen a 5 maio 2024 (17:38 UTC).